« Toulouse Métropole sans voiture : Utopie d'aujourd'hui ou réalité de demain ? »
En novembre 2017, le Codev Toulouse Métropole a organisé un café-débat, ouvert aux habitants de la Métropole, portant sur le thème du futur de la voiture dans l’agglomération toulousaine. Le texte qui suit est le reflet des opinions qui s’y sont exprimées. Il ne s’agit pas d’une prise de position du Codev.
Si le public du débat était majoritairement favorable au développement d’alternatives à la voiture, il n’en restait pas moins très varié : associations d’utilisateurs des transports en commun, automobilistes souhaitant le rester, cyclistes convaincus ou encore spécialistes des mobilités et des véhicules intelligents. Le Codev les remercie d’avoir participé à ce débat.
A l’heure où Paris annonce la fin des voitures à moteurs thermiques, où les zones piétonnes et pistes cyclables se multiplient dans la plupart des métropoles européennes et où des alternatives à la voiture particulière se développent, où en est l’agglomération toulousaine ? La métropole, où la part modale de la voiture commence à diminuer légèrement après des décennies d’augmentation, va-t-elle suivre la tendance ? Faut-il anticiper un futur sans voiture ? Quelle est le véhicule du futur ?
Le tout-voiture : de l'émancipation à la congestion
Avant d’en pointer les limites, il faut bien sûr rappeler que la démocratisation de la voiture est une réussite technologique et économique historique, qui a permis une émancipation des individus dans les sociétés occidentales. Avec quelques litres d’essence, on a pu se déplacer très loin, presque partout. Le rendement énergétique des moteurs a considérablement été optimisé et le secteur de la production automobile pèse encore aujourd’hui un poids conséquent dans l’économie, malgré ses difficultés.
Mais avec la métropolisation, c’est-à-dire une tendance à la concentration des personnes et des activités dans un nombre limité de très grandes agglomérations, ce mode de transport a peu à peu atteint ses limites. La masse de véhicules en circulation y a progressivement saturé les infrastructures routières malgré des investissements très importants. Par ailleurs, l’augmentation de la pollution atmosphérique est devenue un problème de santé publique. Enfin, avec l’augmentation de la pression foncière dans ces agglomérations, le fait de sacrifier environ 80 % des espaces publics (voies de circulation et parking) à un mode de transport peu adapté aux zones urbaines denses interroge. Ainsi, dans un certain nombre de métropoles européennes, la part de voyages en voiture est aujourd’hui en baisse, à la fois du fait des politiques publiques favorisant des alternatives à la voiture, ou en contraignant l’usage, et du fait des choix individuels des habitants qui ne veulent plus subir les embouteillages.
Toulouse, prisonnière de la voiture ?
Cette tendance n’est pas encore observée à Toulouse, une agglomération où près des deux tiers des déplacements se font en voiture.
L‘histoire des transports à Toulouse s’est d’abord faite par le train, le tramway et le vélo. Puis, au lendemain de la seconde guerre, le réseau de tramway très efficace, mais jugé d’un autre temps, a été démantelé pour développer le transport automobile et l’autobus. Ce n’est que dans les années 1960-1970 que la prise de conscience des limites du tout-voiture a commencé à infléchir cette tendance, avec en fer de lance la société civile locale opposée aux projets de voies rapides dans le lit du canal du midi ou sur les berges de la Garonne ou à l’idée de détruire le pont-neuf pour faire arriver l’autoroute place du Capitole. C’est aussi à cette époque que l’urbanisation périurbaine a explosé avec le développement de lotissements résidentiels peu denses et déconnectés des transports en commun.
La volonté de réintroduire une alternative à l’automobile s’est alors heurtée, et se heurte toujours, à la morphologie de l’agglomération toulousaine, qui s’est considérablement étalée sous l’impulsion du tout-voiture et l’absence de régulation publique. Plus exactement, l’agglomération se caractérise aujourd’hui par une dualité : un cœur d’agglomération dense et relativement bien desservi en transports en commun où les habitants sont de plus en plus nombreux à abandonner la voiture et une périphérie trop étalée pour que les transports collectifs classiques y soient efficaces et où il est difficile de se passer d’une voiture (une situation que les participants au débat qui font partie de ces automobilistes périurbains décrivent tantôt comme un choix, tantôt comme une contrainte). En l’état actuel des choses, s’il ne se cantonne pas au centre de Toulouse ou aux quartiers bien desservis par les transports en commun en semaine, s’il a des mobilités familiales, commerciales ou de loisir le week-end à l’extérieur de la ville-centre, le toulousain est amené à prendre la voiture.
L’inertie du tout-voiture n’est pas seulement matérielle, elle est aussi culturelle. Ainsi, les décideurs semblent avoir du mal à faire évoluer la situation toulousaine, à l’image d’un Plan de Déplacement Urbain (PDU), jugé par nombre de participants un peu trop timide sur la promotion des modes de transports « actifs » (marche, vélo, trottinettes,..). Plutôt que d’œuvrer pour un changement radical, que certains ont appelés de leur vœux, Toulouse applique une politique jugée paradoxale, en généralisant le stationnement payant mais en maintenant des parkings de grande taille en plein centre-ville, et sans vraiment imaginer l’adaptation et l’accompagnement des nouveaux modes de mobilité urbaine. Dans le même registre, certains participants ont souligné le paradoxe qu’il y a à vouloir limiter l’usage de la voiture en faisant payer le jour un stationnement par ailleurs gratuit la nuit dans certains quartiers résidentiels. Cela incite les propriétaires d’un véhicule à le déplacer tous les jours pour ne pas payer le stationnement.
Les élus semblent désemparés face à des administrés qui souhaitent des mesures contre les embouteillages, mais qui sont prompts à se mobiliser contre toute mesure visant à limiter l’usage de la voiture. Enfin, les réticences ne viennent pas seulement des habitants ou des élus mais aussi des milieux économiques. Même si l’industrie toulousaine est plutôt tournée vers l’aéronautique et le spatial, l’automobile génère des revenus (concessions des autoroutes et des parkings, réseaux de ventes et d’entretien, …). Il est à noter qu’à Toulouse des entreprises, comme Renault, Continental Automotive, Akka Technologies ou EasyMile, profitant de l’expérience acquise par l’écosystème économique toulousain dans le domaine des systèmes embarqués, sont en train d’élaborer l’intelligence de la voiture de demain.
Pas d'alternative parfaite
Si les participants au débat étaient majoritairement favorables à la recherche d’alternatives à la voiture, ils n’en sont pas moins conscients des nombreuses contraintes qu’impliquent les transports en commun (TC). Le premier inconvénient des TC classiques (bus, Tram et métro) réside dans leur coût élevé. Au vu de la faible densité de l’agglomération toulousaine, le nombre d’utilisateurs potentiel d’une ligne est parfois trop faible dès que l’on quitte le cœur de l’agglomération. Le tracé des lignes pose aussi problème, puisque la part des mobilités de périphérie à périphérie augmente, là où les réseaux de TC classiques, en étoile, répondent plutôt à des mobilités centre-périphérie. Sur les zones plus denses les TC sont efficaces mais très souvent saturés. La ligne de métro A aux heures de pointes devient « une galère » pour nombre d’usagers, et beaucoup préfèrent affronter les difficultés de la circulation que de s’infliger un trajet rapide mais inconfortable.
Concernant les modes dits « actifs » (marche, trottinette, gyropode et vélo), il est évident qu’ils ne permettent pas de couvrir un rayon d’action aussi important que l’automobile. Seulement la moitié des déplacements à l’intérieur de l’agglomération sont inférieurs à 3 km, distance au-delà de laquelle les modes actifs (sans assistance électrique) peuvent apparaître trop contraignants. Les mobilités actives ne sont pas adaptées à tout le monde, notamment aux personnes âgées. Mais le principal frein à l’utilisation de ces modes de transport est celui de la sécurité. En effet, les pistes cyclables à Toulouse sont jugées insuffisantes, mal conçues (découpées en tronçon sans continuité), peu respectées par les autres usagers (stationnement et obstacles divers) et mal entretenues. En l’absence d’un réseau de pistes consacrées, l’utilisation des vélos, gyropodes et trottinettes engendre de nombreux conflits d’usage avec les voitures et avec les piétons. Ces conflits d’usage sont dangereux au quotidien et contribuent aussi à détériorer l’image des mobilités actives auprès des autres usagers.
Enfin, l’efficacité de l’offre en TC sur l’agglomération est aussi tributaire d’une gouvernance éclatée entre 3 Territoires : Toulouse Metropole, le Sicoval et le Muretain dont les relations sont aussi parfois en tension pour les routes avec le département et avec la région pour le train. Les usagers ont l’impression que le travail autour d’un projet urbanistique et d’une politique de transports optimale pour l’agglomération est freiné par des rivalités politiques, en partie produites par un découpage archaïque et un partage excessif des compétences. L’exemple d’une Autorité organisatrice des transports (AOT) comme en Île de France mériterait d’être suivi pour l’ensemble de l’aire urbaine.
Viser une diminution des mobilités
Parmi les solutions envisagées par les participants, la première peut sembler contre-intuitive dans un monde en permanente accélération ; il s’agit de chercher à diminuer le volume des mobilités ou d’en diminuer la longueur. En effet, le temps et le budget que les individus sont prêts à consacrer aux déplacements quotidiens sont relativement stables. Une meilleure offre de transports ne diminue pas le temps passé à se déplacer, mais accroît les distances parcourues, ce qui encourage l’extension de l’agglomération et entraîne une saturation des infrastructures. C’est pourquoi il est nécessaire de maîtriser l’urbanisation dans le périurbain et de ne l’accepter que si des alternatives efficaces à la voiture sont possibles.
Par ailleurs, une large part du coût des transports est supportée collectivement et pas directement par les utilisateurs ; les billets des TC sont en partie compensés par les collectivités, qui prennent aussi en charge les coûts de construction et d’exploitation des infrastructures routières. Une tarification des TC plus proches du coût réel ou un tarif de l’essence qui prendrait en compte le coût des infrastructures, de stationnement et des problèmes de pollution inciterait à une prise de conscience sur ce sujet. Il est d’ailleurs à noter que le soutien de la puissance publique aux usagers qui acceptent d’utiliser des modes actifs est en revanche encore très marginal.
Il semble également nécessaire de revenir sur un urbanisme fonctionnel qui a favorisé la hausse des mobilités quotidiennes en séparant les zones résidentielles peu denses des zones d’emploi et des zones commerciales ou de loisirs. Il faudrait donc éviter la concentration d’emplois dans certains lieux de l’agglomération déjà saturés et au contraire essayer de relocaliser un maximum d’activités au plus près des zones résidentielles et des zones bien desservies. Enfin, il faut inciter les entreprises et les grands établissements publics à favoriser le télétravail, soit à domicile, soit dans des tiers-lieux disséminés dans le tissu résidentiel périurbain, via une généralisation des Plan de Déplacement en Entreprise (PDE) ou d’Administration (PDA).
Centre et périphérie : Deux espaces à réconcilier et à reconnecter
Comme cela a été dit, l’agglomération toulousaine se caractérise aujourd’hui par une dualité entre un cœur d’agglomération où les habitants sont de plus en plus nombreux à abandonner la voiture et une périphérie trop étalée pour s’y déplacer autrement qu’en voiture. Le principal enjeu est donc de penser l’articulation entre ces ”deux mondes”. Il faut penser la première couronne comme une porte d’entrée vers le cœur de l’agglomération et y faire converger des TC en site propres type Linéo.
Par ailleurs, il faut plus de parking, mais aussi davantage de solutions d’auto- partage situées sur ces portes d’entrée, en faisant attention de les développer suffisamment loin du cœur de l’agglomération pour ne pas saturer aux heures de pointe les voies existantes. Les automobilistes qui se dirigent vers le cœur de l’agglomération pourraient ainsi facilement laisser leur véhicule et poursuivre leur route par d’autres moyens. Les habitants du centre pourraient aussi y accéder pour emprunter une voiture partagée pour un usage exceptionnel. Ainsi, ces espaces deviendraient une interface entre ces ”deux mondes”.
Enfin, pour desservir le cœur de l’agglomération, mais aussi assurer les mobilités de périphérie à périphérie, il semble que le vélo représente une alternative efficace et peu coûteuse dont le potentiel est largement sous-estimé, alors que plus de la moitié des trajets réalisés quotidiennement dans l’agglomération font moins de 3 km. Les lignes concentriques de sites propres des TC (Linéo) accessibles aux vélos, si elles étaient couplées à un maillage circulaire type ”autoroutes à vélo” permettraient de délester une large part du trafic automobile. De plus, l’amélioration des performances des vélos électriques (en moyenne 25km/h et 50km d’autonomie) rend accessible ce mode de transport aux moins sportifs. Leur prix d’achat est relativement élevé par rapport aux vélos classiques, mais le coût d’utilisation est très faible et leur nuisance incomparablement plus faible que celle des voitures, du point de vue de la pollution et de l’encombrement de la chaussée.
Le véhicule de demain ? Une navette autonome plutôt qu'une voiture miracle
Quelles que soient les solutions apportées dans le cœur d’agglomération en matière de TC, il y aura toujours des situations qui nécessiteront un mode de transport plus personnalisé. Il faut donc encore inventer un véhicule qui puisse répondre à ces besoins, mais qui soit conçu de telle sorte qu’il n’ait pas les défauts de la voiture telle que nous la connaissons.
La voiture électrique améliore grandement la pollution locale, mais elle est encore très onéreuse et nécessite pour son développement beaucoup de subventions publiques. Son usage encore limité par une autonomie trop faible et des contraintes de recharges importantes, ne permet pas de supprimer l’achat d’une voiture classique pour ceux qui ont des déplacements extra urbains. De plus, si le bilan local est positif du point de vue de la pollution, l’impact des batteries et de la production d’électricité ne la rend pas pour l’instant écologique. La voiture particulière électrique classique ne répond pas non plus à la problématique des embouteillages. Dans une période transitoire le véhicule urbain devra être moins lourd, moins grand, moins onéreux, moins énergivore et moins polluant. On peut noter qu’en zone urbaine la piste du véhicule électrique léger comme le twizy avec ses 450 kg n’a pas été suffisamment explorée.
La voiture autonome présentée trop souvent comme une solution miracle, est, a priori, une voiture particulière qui peut polluer et saturer les routes comme un véhicule classique. La révolution numérique ne concerne pas la structure de la voiture, mais peut faire évoluer de manière considérable l’usage du véhicule. Grâce aux réseaux sociaux, aux multiples interconnections possibles, le véhicule de demain pourra se décliner à plusieurs échelles d’usages privatifs ou collectifs. Par exemple, la navette autonome partagée de type minibus peut modifier fortement la donne, en diminuant considérablement le coût des TC (le chauffeur représente aujourd’hui 70 % des coûts d’exploitation). Elle pourrait devenir un mode de transport de rabattage vers les lignes structurantes de TC, peu coûteux et pouvant répondre à la problématiques des derniers kilomètres, surtout dans le périurbains. De même, la mise en place d’une flotte de petits véhicules électriques légers autonomes à la demande permettrait de répondre aux besoins de transport individuel de façon plus efficiente. Pour que ces solutions sont mises en œuvre, il manque encore aux chercheurs et aux techniciens une connaissance fine des mobilités des toulousains, pour lesquels il faudrait mobiliser les outils du big data. Cela permettrait aussi une meilleure prise de conscience de l’aberration économique, énergétique et écologique que constituent les mobilités métropolitaines actuelles, encore majoritairement automobiles.
En matière de mobilité, certaines métropoles européennes, comme Copenhague, Oslo, Göteborg ou Bordeaux essayent d’avoir une vision globale des enjeux. La démarche actuelle, qui est notamment celle de Toulouse, consiste à proposer des infrastructures de TC et simultanément de pénaliser l’usage de la voiture, en espérant que chaque citoyen fera un arbitrage au profit de l’intérêt général.
Une démarche visant à garantir la mobilité comme service consisterait d’abord à adapter l’urbanisation aux nouvelles orientations par des petits investissements et des arbitrages plus favorables aux modes actifs et au TC. Elle consiste ensuite, grâce aux nouvelles technologies, aux capacités de mise en réseau pour faire du partage et grâce aux nouveaux modes de déplacement, de partir des besoins de mobilité et de proposer à tous un panel de possibilités qui permet d’utiliser une voiture uniquement lorsque son usage est très pertinent. C’est en donnant une réelle impulsion politique et financière dans ce sens que la Métropole pourra respecter ses engagements environnementaux, offrir un écosystème fluide pour les entreprises et maintenir la qualité de vie des habitants.
Le Codev Toulouse Métropole est une instance transversale et pluridisciplinaire, un lieu d’expertise citoyenne : par ses travaux et ses débats, il contribue à la réflexion des élus sur les projets et les politiques communautaires. Force de proposition auprès de Toulouse Métropole, il contribue également au débat public.
Retrouvez nos publications sur : www.codev-toulouse.org
Source : Toulouse-sans-voiture.pdf